22 Janvier 2019

Chatbots : Des fidèles représentants des ventes ou des espions de vos clients?

Auteur : Vincent Bergeron, Associé, avocat et agent de marques chez ROBIC

En pleine session de magasinage en ligne sur le site de l’une de vos boutiques préférées, un petit onglet apparait en bas de votre écran : Paul vous invite à clavarder et vous demande si vous avez besoin d’aide pour trouver un produit. Vous vous en doutiez probablement, Paul n’est pas un humain, mais bien un agent conversationnel, mieux connu sous le nom de chatbot. Les agents conversationnels visent à optimiser les ressources humaines d’une entreprise, tout en améliorant son service à la clientèle.

L’agent conversationnel est un logiciel informatique, parfois soutenu par des technologies liées à l’intelligence artificielle, qui vise à simuler une conversation avec un humain. L’objectif de celui-ci est de comprendre des requêtes formulées par un humain, afin d’y répondre adéquatement, selon le contexte spécifique. Certains agents conversationnels sont programmés afin de faire de l’apprentissage automatique, une technique liée à la grande famille de l’intelligence artificielle, pour apprendre de leurs erreurs et perfectionner leurs réponses à la suite de chaque conversation.

L’utilisation d’agents conversationnels est devenue pratique commune chez plusieurs entreprises qui vivent du commerce en ligne. Il n’en demeure pas moins que l’utilisation de tels logiciels entraîne plusieurs enjeux juridiques qu’il convient de soulever. Bien qu’ils soient de fantastiques outils technologiques, les agents conversationnels peuvent causer plusieurs maux de tête lorsque l’on tente d’en comprendre les impacts juridiques pour une entreprise. Est-ce que l’entreprise peut être responsable si l’agent conversationnel donne de fausses informations, des informations trompeuses, ou s’il donne des conseils pouvant être dangereux pour le consommateur? Est-ce que l’agent conversationnel peut sans le savoir utiliser du langage offensant ou humiliant pour le client? Toutes ces questions sont bien réelles lorsqu’un logiciel devient le représentant de l’entreprise face à ses clients, et peut ainsi entraîner la responsabilité de celle-ci.

Un des enjeux majeurs de l’utilisation d’agents conversationnels demeure toutefois la protection de la vie privée des utilisateurs qui interagissent avec ces logiciels « intelligents ». Les agents conversationnels peuvent collecter une quantité massive de données, dont notamment l’adresse de protocole Internet (IP) des utilisateurs, leur nom, leur adresse et leur numéro de téléphone, la retranscription des conversations, ainsi que les autres données personnelles volontairement communiquées par les utilisateurs. Un utilisateur pourra souvent dans une conversation expliciter clairement ses préférences, ses goûts, ou les produits et services qu’il cherche à se procurer, permettant ainsi à l’entreprise d’analyser les préférences de l’utilisateur et de conserver ces données pour lui envoyer de la publicité ciblée dans le futur et lui recommander d’autres produits. Il est donc clair que ces entreprises devront connaître et maîtriser les lois applicables quand vient le temps de collecter et d’utiliser des renseignements personnels de leurs utilisateurs.

Au niveau fédéral, c’est la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques qui s’applique aux entreprises du secteur privé qui recueillent, utilisent ou communiquent des renseignements personnels dans le cadre d’une activité commerciale interprovinciale (ne se limitant pas au Québec)(1). Cette loi requiert l’obtention d’un consentement de la part de tout individu dont les renseignements personnels sont collectés ou communiqués(2). La loi définit un renseignement personnel comme « tout renseignement concernant un individu identifiable »(3). Le Commissariat à la protection de la vie privée du Canada émet des lignes directrices pour les entreprises canadiennes qui collectent et utilisent des renseignements personnels sur des individus. À ce sujet, le Commissariat a récemment publié des lignes directrices mises à jour pour l’obtention d’un consentement valable à la collecte et à l’utilisation de renseignements personnels au Canada, lesquelles seront appliquées à compter du 1er janvier 2019(4). Les entreprises qui utilisent des agents conversationnels au Canada doivent maîtriser les lois applicables en matière de vie privée, et prendre en compte les nouvelles lignes directrices du Commissariat au sujet de l’obtention des consentements auprès de leurs utilisateurs avant de faire la collecte et l’utilisation de renseignements personnels, notamment par l’utilisation d’agents conversationnels.

Les entreprises faisant appel à des agents conversationnels doivent également penser à la vie privée de leurs clients internationaux, puisque certains règlements, dont le fameux Règlement général sur la protection des données (RGPD) de l’Union européenne, s’appliquent de façon extraterritoriale(5). Le RGPD, par exemple, requiert qu’une entreprise soit en mesure de prouver qu’elle a obtenu le consentement libre et éclairé de chaque individu dont les informations ont été collectées(6). Le consentement doit être obtenu à des fins spécifiques qui ont été clairement expliquées(7). Le règlement autorise également tout résident de l’UE à accéder à l’information qui a été collectée à son sujet ainsi que d’exiger que cette information soit effacée(8). Toute entreprise dont les agissements ne sont pas conformes aux provisions du règlement risque une amende pouvant s’élever jusqu’à 20 millions d’Euros ou 4% du chiffre d’affaires annuels de la dernière année(9). Avec des amendes aussi salées, les commerçants québécois doivent s’assurer que leurs agents conversationnels ne sont pas utilisés sans d’abord obtenir un consentement libre, éclairé et spécifique au type de données personnelles recueillies auprès de l’utilisateur, avant même de démarrer la conversation.

En résumé, l’utilisation d’agents conversationnels est une pratique vouée à grandir et à prendre une place de plus en plus importante dans l’expérience d’achat des clients. Voilà pourquoi il est important pour les entreprises qui en font l’utilisation de prendre en considération les enjeux juridiques associés à cette pratique, et de ne pas se lancer dans l’aventure sans faire les vérifications et ajustements qui s’imposent.

Pour reprendre une phrase qui pourrait bien être rédigée par un agent conversationnel nommé Paul : « Nous espérons que le présent article aura répondu à vos questions. Pouvons-nous faire autre chose pour vous assister aujourd’hui? »

 

Sources :

*L’auteur remercie la contribution de Lina Bensaidane, étudiante en droit, à la rédaction de cet article.

1. Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, article 4(1)(a).

2. Ibid., Annexe 1 article 4.3

3. Ibid., article 2(1).

4. Https://www.priv.gc.ca/fr/sujets-lies-a-la-protection-de-la-vie-privee/collecte-de-renseignements-personnels/consentement/gl_omc_201805/.

5. Article 3 du RGPD.

6. Articles 6(2)(a) RGDP.

7. Articles 7(2) RGPD.

8. Articles 15 et 17 du RGPD.

9. Article 83(5) du RGPD.

 



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